XII.
’ON traversait une mauvaise année. Le charbon
avait effroyablement décimé les troupeaux et
le blé était venu de si mauvaise qualité que, dans
trente paroisse, les habitants mangeaient un pain
lourd, fade, impossible à cuire, et qui filait comme
une toile d’araignée lorsqu’on le rompait. Pour comble
de malchance, la récolte avait été très mauvaise,
et les fermiers allaient soucieux, jongleurs, la tête
basse, voyant avec effroi arriver la date des paiements.
Pendant longtemps, le pays avait été empesté d’une odeur de charogne. Du sein des campagnes verdoyantes et des champs en fleurs, la puanteur s’élevait écœurante, insupportable. Elle assaillait les passants sur les routes et semblait vouloir empoisonner les légers nuages blancs qui glissaient là-haut. C’était à croire que la région était devenue un immense charnier, un amoncellement de pourriture et de corruption.
Et depuis quelque temps, une vieille voiture traînée par un vieux cheval allait par les chemins, arrêtant à chaque ferme. Elle était conduite par le Taon, garçon de seize ans, qui faisait le commerce des ferrailles, des os et des guenilles. En échange d’une pièce de ferblanterie ou deux, il obtenait la permission de ramasser les carcasses qui gisaient de tous côtés. Il les entassait dans sa charrette qui laissait après elle comme un sillage infect, une traînée de mortelle pestilence.