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Page:Laberge - La Scouine, 1918.djvu/53

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LA SCOUINE

La Scouine va lui ouvrir. Elle lui avance une chaise.

— Asseyez-vous, dit-elle.

Le mendiant s’assied. Il dépose son casque à terre, à côté de son siège. Ses doigts gourds et malhabiles déboutonnent son manteau. Il voudrait absorber un peu de cette bonne chaleur. Humblement, il répète la formule qu’il dévide du matin au soir, la prière qu’il adresse depuis si longtemps à tous ceux qu’il voit :

— La charité s’il vous plaît ?

— D’où venez-vous ? demande la Scouine.

— De Saint-Stanislas, répond laconiquement le Quêteux.

On lui a posé tant de fois la même question, qu’il se contente d’y répondre sans ajouter d’explications. Il est avare de ses paroles comme les riches de leurs biens.

— De Saint-Stanislas, répète la fille comme un écho. Quel âge avez-vous ? ajoute-t-elle.

— Soixante-dix-neuf ans.

— Y a-t-il longtemps que vous quêtez ?

— Dix-huit ans.

— Vous n’avez pas d’enfants ?

— J’ai une fille en service. Les garçons sont morts.

L’interrogatoire est fini.

Le silence se fait.

— Quelle heure est-il ? demande le Quêteux qui n’a pas déjeuné le matin et que la faim aiguillonne.

La Scouine regarde la pendule au mur, au-dessus d’une croix de tempérance, et une inspiration lui traverse l’esprit. L’idée qui a jailli si subitement en son cerveau la trouble à ce point qu’elle oublie de ré-