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LA SCOUINE

pondre. Elle est dans l’état d’un joueur qui va tenter un coup.

— Mais, le père, vous n’avez pas de panier ni de sac pour mettre ce qu’on vous donne.

— Ah ! ma pauvre dame, je suis trop vieux pour en porter ; je ne prends que de l’argent.

— Je vas vous dire, je vous donnerais ben une couple de cents, mais je n’ai qu’un trente-sous.

Le Quêteux reste perplexe.

— Si vous pouviez me le changer, se hasarde à dire la Scouine, un éclair dans les yeux, on pourrait s’arranger.

Sans attendre de réponse, la fille monte rapidement sur une chaise, ouvre la porte de la pendule et prend dans le fond de la caisse, une pièce blanche qui dormait là depuis trois ans.

— Je l’avais mise de côté pour faire dire une messe, explique la Scouine.

Alors le Vieux Pauvre enfonce lentement dans son gousset une main enflée, bleuie et tremblotante. Il en retire un porte-monnaie en cuir usé et luisant, au fermoir en cuivre poli par le frottement. Très lentement toujours, il l’ouvre et en retire trois pièces d’un sou et deux de dix sous qu’il palpe longuement. La lenteur du Quêteux énerve la fille debout devant lui. Son calme apparent ne cache-t-il pas un piège ? Enfin, il tend la monnaie. Vite, la Scouine la saisit et donne son trente-sous en échange.

Le Quêteux reste assis sur sa chaise, sa canne entre les jambes, le bout dans l’anneau en fer de la porte de cave. Il a son aumône dans sa poche. Il a prononcé les rares paroles qu’il avait à dire. Il ne s’en va pas. Il reste. Il n’est pas pressé. Il se repose.

La Scouine voudrait bien le voir partir. Elle est