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LA SCOUINE

grands lacs, de vieilles goélettes grises tirées par des remorqueurs, et de lourdes barges chargées de bois que traînaient péniblement, avec un bruit de sabots sur le macadam, des chevaux s’arcboutant, au dos en forme de dôme, de vastes plaies aux épaules, et que fouettaient à tour de bras, sur les jambes, en proférant des litanies de jurons, des gas à sinistre figure, défilaient là à toutes les heures, brisant la monotonie des lentes journées.

— Pour dire comme on dit, su-t-en bâtisse, annonçait à quelque temps de là Deschamps chez le forgeron.

— Ane grange ?

— Non, ane maison pour Charlot.

Deschamps organisa une corvée pour le transport de la brique qu’il fallait aller chercher à dix lieues. Vingt voitures partirent un matin d’été, et revinrent le soir en procession.

— Pour dire comme on dit, su’t’en bâtisse.

C’était là la phrase avec laquelle Deschamps abordait tout le monde maintenant. La maison de Charlot l’accaparait tout entier. Rapidement la charpente s’éleva. Mâço et la Scouine apportaient dans une chaudière le dîner aux menuisiers et aux maçons. Dans ces visites quotidiennes, la vieille femme inspectait les travaux, et, sans qu’on le lui demandât, donnait son avis sur toute chose. Une discussion s’éleva un jour entre elle et Deschamps au sujet d’une fenêtre. Mâço voulait un œil de bœuf à l’étage supérieur et Deschamps était absolument opposé à cette idée. On s’obstina de part et d’autre. Mâço réclamait toujours une ouverture ronde. Agacé, son mari lui tourna le dos et, devant les ouvriers qui le regardaient :