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LA SCOUINE

adressa pas deux paroles. Après avoir patienté pendant une heure, celui-ci demanda son chapeau. Il partit et ne revint pas. Guilbault satisfait du tour joué en fit autant. Découragé par cet échec, Charlot résolut de ne plus s’exposer à manger d’avoine. Se sentant piteux et infirme, il s’abstint désormais de courtiser les jeunes filles et se borna à cet unique essai.

La maison, la belle maison qui ressemblait à un presbytère, la maison construite avec tant de soin pour le fils de prédilection, la maison orgueil des Deschamps attendit toujours la jolie épousée et le festin de noces.

Elle n’abrita jamais ni grande joie ni grande douleur ; ni la vie ni la mort ne franchirent son seuil. Avec ses fenêtres éternellement closes, ses portes fermées, elle prit un air de deuil et d’abandon. À sa vue, le passant éprouvait une vague impression de malheur, songeait à quelque catastrophe soudaine qui aurait bouleversé toute une existence.

Elle criait la vanité et la fragilité de nos espoirs.

La pluie, le froid, l’humidité, la rongèrent peu à peu, accomplirent leur œuvre de destruction. De loin, elle conservait toujours sa belle apparence, elle en imposait. Mais, le toit creva, et l’eau dégouttant sur les chevrons, les planchers, les soliveaux, les cloisons, les pourrit lentement. Sous l’action de l’air et de la gelée, les briques s’effritèrent, se pelèrent. L’herbe et la mousse envahirent la pierre du perron. Comme son maître, la maison s’en allait en ruines. Les saules plantés tout autour lors de sa construction, avaient grandi rapidement, mais n’étant jamais taillés, ajoutaient encore à sa désolation.

Charlot vieillit. Ses cheveux grisonnèrent, et il traîna plus lourdement, plus péniblement sa jambe