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XX.



LES foins étaient commencés depuis un mois, mais par suite des pluies continuelles il n’y avait presque rien de fait nulle part. À quelques heures d’intervalle, les orages se succédaient après la courte apparition d’un soleil fantômal. Subitement, le ciel devenait noir, menaçant, et de gros nuages en forme de corbillards, se poursuivant à l’horizon, crevaient sur la campagne verte et plate, déversant sur elle des déluges d’eau qui la noyaient. Parfois, la pluie tombait interminablement pendant des journées entières, battant les fenêtres, où souvent un vieil habit bouchait un carreau cassé, et chantant sur les toits des maisons et des granges sa complainte monotone.

Et pendant les nuits sombres, sans étoiles, une petite note aiguë et désolée, d’une inexprimable tristesse, obsédante jusqu’à l’angoisse, le coassement des grenouilles, déchirait les ténèbres. En vain, celles-ci semblaient vouloir l’étouffer de leur bâillon humide et mou, la plainte, toujours renaissait, obstinée, douloureuse…

Dans les greniers, couchés sur leur paillasse ou une robe de carriole, les gars dormaient à poings fermés. Dans la journée, les pieds pataugeant dans une boue gluante, devenaient lourds, énormes. Avant d’entrer, on les essuyait sur une brassée de poysar déposée à côté du perron.

Tous les efforts des fermiers étaient paralysés et le découragement commençait à se faire sentir.