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LA SCOUINE

Dans un moment de dépression, un homme s’était pendu. L’inutilité des labeurs, des durs travaux, apparaissait. Le curé et son vicaire ne pouvaient suffire à chanter toutes les grand’messes recommandées par les cultivateurs de la paroisse. Chaque dimanche, au prône, le vieux prêtre exhortait d’une voix navrée ses ouailles à la prière, afin de fléchir le Seigneur et d’obtenir un terme à ses rigueurs. Finalement, après quatre semaines d’orages et d’averses, le beau temps si ardemment désiré revint. Un soleil ardent chauffa la terre, mûrissant foins et grains. Bientôt, les faucheuses mécaniques firent entendre leur puissant ronflement. Du matin au soir, planait sur cette mer de verdure le sonore bourdonnement de l’essaim des machines de fer, semblable à celui d’une meule géante. La paix et le calme étaient comme brisés, hachés. Une fièvre de travail et d’activité animait tout le pays, le faisait vivre d’une vie intense. Il fallait se hâter.

Le vieux Deschamps avait loué deux aides, Bagon le Coupeur et l’Irlandaise, une vagabonde arrivée depuis quelque temps dans la région. C’était une grande femme de quarante ans, sèche et jaune, qui, aux jours de chômage, se saoulait abominablement au gin. Dure à la besogne autant qu’un homme, dont elle ne recevait que la moitié du salaire, elle était une vaillante ouvrière.

Deschamps coupait sans relâche, la Scouine râtelait, Bagon mettait le foin en veillottes, Charlot et l’Irlandaise faisaient le charroyage.

On était au vendredi.

Dans la grande chaleur, les hommes et les chevaux dégageaient une forte odeur de sueurs, un puissant relent d’animalité. Très incommodantes,