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LA SCOUINE

qu’elle était la victime d’une grande injustice, cependant que lui arrivait aux oreilles, comme une moquerie, le sempiternel et trompeur boniment :

— Pique noir, carreau rouge. Ma cousine est arrivée. Venez tous faire fortune…

Charlot et la Scouine se trouvèrent tout à coup devant une toile tendue verticalement comme un mur. Au centre, bordé de tavelle rouge, était un trou dans lequel passait une tête horriblement charbonnée et qui faisait toutes sortes de hideuses grimaces. Un compère invitait les passants à s’arrêter.

— Seulement que cinq sous pour trois balles. Si vous frappez le nègre, vous aurez un cigare ; deux fois, deux cigares ; trois fois, trente sous. Allons, approchez, mesdames et messieurs, seulement que cinq sous pour trois balles.

La rage de la Scouine déborda :

— Je vas vous donner dix sous pour i envoyer ane roche, hurla-t-elle, hors d’elle-même.

Le pauvre diable qui jouait le rôle du nègre lui jeta un regard venimeux.

Se sentant un peu fatigués, Charlot et la Scouine allèrent s’asseoir sur le bord d’un fossé. Une famille de cinq à six personnes vint bientôt s’installer à côté d’eux, et chacun se mit à dévorer en silence des sandwiches au jambon. À quelques pas, les gens riches prenaient, sur des tables formées de longues planches posées sur des chevalets, un lunch de bœuf, de pommes de terre, de pain et de café. Cette extravagance coûtait trente sous.

— C’est un voleur, déclara la Scouine qui ne pouvait oublier sa mésaventure de la roulette. On devrait refuser à ces gens-là l’entrée sur le terrain.