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LA SCOUINE

gauche. En avant, étaient deux fortes talles de lilas. En lui-même, Bagon s’imaginait une vieille maison blanche avec des contrevents verts. Maintenant qu’on approchait, il regardait devant lui, cherchant à deviner, à reconnaître le toit paternel. On arrivait au chemin de ligne, mais il n’y avait aucune habitation, pas le moindre bâtiment. Les ruines d’un solage en pierre se voyaient encore, et des mauvaises herbes, des chardons, avaient poussé haut dans ce qui avait été la cave. Mais c’était là tout… Les pommiers et les pruniers étaient morts, disparus, et les lilas avaient depuis longtemps cessé de fleurir et d’embaumer. Seul, un grand frêne, dans les branches duquel s’apercevait un vieux nid de corbeaux, rappelait les anciens jours, les années écoulées. Et soudain, apparut à Bagon, dans une vision rapide, sombre comme un purgatoire, les mille misères endurées depuis son enfance… Tout lui revenait à cette heure en tableaux nets et distincts. Orphelin à deux ans, recueilli par des parents si éloignés qu’ils étaient pour ainsi dire des étrangers, des gens qui, pendant trois ans, l’avaient fait coucher sur la pierre froide et nue du foyer. Trois ans pendant lesquels il n’avait eu d’autre chose à manger que du pain dur et du lait écrémé, d’autre vêtement qu’une petite robe de coton…

Et la roue criait lamentablement, gémissait comme une âme en détresse, faisant entendre une plainte aiguë, sans fin, comme quelqu’un qui aurait eu une peine inconsolable.

Bagon se voyait tout jeune, condamné à faire des ouvrages trop durs pour son âge et ses forces. Mal nourri, mal vêtu, il était forcé de travailler quand même. Lorsqu’il avait eu la picote à deux