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LE DESTIN DES HOMMES

L’homme était un ancien voiturier retiré des affaires qui vivait de petites rentes amassées au cours de sa vie laborieuse, sobre et honnête. Jadis, il avait vendu un boghei et une carriole au fermier Boyer. Maintenant, il s’ennuyait au cours de ses journées vides, sans occupations, et il avait pensé à aller voir le vieil habitant en compagnie de sa femme. Après avoir causé, l’on avait joué aux cartes, ce qui avait été une heureuse distraction pour les deux couples. Depuis, les Masson venaient deux fois par année rendre visite aux Boyer et ceux-ci leur rendaient la politesse à leur tour. À chaque occasion, les vieux parlaient de leurs enfants. Le fils Masson avait succédé à son père dans la boutique de voiturier, mais il ne prospérait guère, avait déclaré le père, avec regret. Le vieux s’était créé de petites rentes, mais le garçon faisait des dettes. C’est comme ça dans la vie…

Les Boyer avaient aussi reçu une autre visite. Laurence Mongeau, fille de l’huissier de l’endroit, qui demeurait tout en face, de l’autre côté de la rue, s’était amenée un jour. Gentiment, elle avait demandé à la mère Boyer de lui garder les fioles vides qu’elle aurait et dont elle n’avait pas besoin. Elle expliqua qu’elle les amassait pour les donner plus tard au Dr  Lantier, un fils de la place qui, après avoir été reçu médecin, était parti en France pour se perfectionner. Dans son idée à elle, il s’établirait au village à son retour et, alors, il aurait besoin de fioles pour sa pharmacie. Au cours de ses dernières vacances à Valrémy, avant de s’en aller là-bas, le Dr  Lantier l’avait un jour invitée à faire une promenade en canot et, depuis ce temps, elle s’imaginait candidement qu’il avait des vues sur elle et, alors, elle recueillait toutes les fioles qu’elle pouvait trouver, ne doutant pas qu’elles lui seraient utiles lorsqu’il reviendrait. Laurence, une petite châtaine aux