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Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/170

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LE DESTIN DES HOMMES

À cette heure, dans la joie de la victoire, non seulement il pardonnait aux siens les misères qu’ils lui avaient causées, les humiliations dont ils l’avaient abreuvé, mais magnanimement il les comblait de ses munificences.

De son côté, Biron était comme ébloui. Dans un éclair il imaginait pour le lendemain un titre flamboyant sur huit colonnes annonçant la victoire de Brisebois et il prévoyait d’autres triomphes qui lui permettraient, avec sa part des recettes, de faire construire son camp dans les Laurentides et d’aller faire un séjour aux Bermudes.

À « six ! » Jones se mit à genoux pendant que l’arbitre continuait de compter.

Une immense clameur montait de la masse humaine entassée dans la salle. De toutes les bouches grandes ouvertes sortaient des vociférations au milieu desquelles on distinguait les cris aigus, hystériques des femmes clamant : « Vas-y Brisebois ! Danne-y, Victor ! »

À « neuf ! » Jones se remit debout et, retrouvant son ardeur des années passées, se rua sur Brisebois, faisant tomber sur lui une avalanche de crochets et d’uppercuts. Devant cette impétueuse attaque, le colosse parut désemparé, sans défense. Il frappait aveuglément, avec de grands gestes fous, comme un homme qui est à l’eau en train de se noyer et qui se débat désespérément pour ne pas enfoncer sous l’onde. En un moment il avait oublié toutes les leçons de son instructeur, tous les conseils de M. Lafleur. C’était à croire qu’il n’avait jamais mis de gants de boxe de sa vie. Il faisait pitié, il était lamentable à voir, se défendant si maladroitement qu’il ne pouvait éviter un seul coup. L’Anglais se battait comme un enragé. Comme médusé, Brisebois le regardait de ses grands yeux blancs et était absolument impuissant à se protéger. On le sentait pris d’une panique indescriptible. Un homme était là en train