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LE DESTIN DES HOMMES

reconnaître, c’était un homme de talent. Il avait de l’argent et il le faisait travailler. Il prêtait — à six pour cent aux habitants qui lui en demandaient et qui pouvaient lui donner une bonne garantie. Avec cela, il avait une belle terre, une maison confortable, un grand verger. Pas une minute d’inquiétude, pas de tracas, pas de soucis. Une vie comme tu voudrais en vivre une pareille. C’était trop beau pour durer. Alors, voilà que la veuve du notaire, une femme qui avait mangé tout le bien de son mari et celui de plusieurs de ses clients, commence à tourner autour de lui. Cet homme-là, c’était simplement un habitant et elle, une dame toujours en toilette et qui sentait bon lorsque tu la rencontrais au magasin ou qu’elle passait à côté de toé sur le perron de l’église le dimanche, à l’heure de la messe, mais elle lui laissait entendre qu’elle le trouvait ben de son goût. Lui, ça le flattait. Tu comprends, c’était pas une fille des rangs, en robe d’indienne, qui tire les vaches et fait boire les veaux, pas une fille avec de grosses mains rouges. Non, une dame qui avait été mariée au notaire. La veuve trouvait toutes sortes de prétextes pour le voir. Par exemple, elle voulait avoir un baril de pommes de son verger et lui déclarait qu’il cultivait les meilleures de la paroisse. De même pour toutes sortes d’autres choses. Et lorsqu’il allait lui porter les produits, elle insistait pour le garder à dîner. Pis, tu sais, elle n’était pas laide cette veuve-là. C’était une belle grosse femme, les cheveux un peu grisonnants et les joues colorées comme une rose. Ben, tu sais, ce pauvre Moreau, il s’est fait poigner. C’était inévitable. Elle était trop fine pour lui. Alors, ils se sont mariés, mais auparavant, elle l’avait décidé à laisser sa terre pour aller vivre au village, car tu penses ben qu’elle n’était pas pour venir s’enterrer à la campagne. Une fois mariée, Mme Moreau passait ses journées dans les magasins à acheter tout