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Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/19

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LE DESTIN DES HOMMES

là que ce qui est arrivé l’an dernier. Tiens, assis-toé là sur le perron qu’on jase. Je suis heureux de te voir.

— Pis, moé donc, de vous trouver en bonne santé à votre âge.

— Ben, j’vas te dire, pour te parler franchement, j’aimerais autant être mort que de traîner sur la terre, inutilement, à rien faire, à attendre rien. Tu sais que j’ai quatre-vingt-sept ans. C’est ben des années ça. Je dirais que c’est trop, mais c’est le Bon Yeu qui règle ça. Il connaît ça mieux que nous autres. Tiens, écoute je vas te raconter ça. Comme tu dois le savoir, j’ai trois enfants : deux garçons et une fille. Le plus vieux s’est fait prêtre et il est mort à cinquante-neuf ans. Sa sœur est entrée au couvent, religieuse, et elle est morte à trente-huit ans. Il ne me reste plus qu’un garçon, Isidore, un bel ivrogne, je te dis. Je me suis donné à lui et il achève de manger ma terre. Il l’a hypothéquée et il va la perdre un de ces jours. Je voudrais ben partir avant de voir ça. Pis, il a un garçon de vingt-cinq ans qui se meurt de consomption. Comme tu vois, ce sont les bons qui partent et les mauvais qui restent. Oui, je voudrais ben que le Bon Yeu me rappelle à lui pour aller rejoindre mon fils et ma fille. Vrai, j’ai été trop longtemps sur la terre….

Gédéon Quarante-Sous se levait pour partir, mais il s’arrêta soudain.

— Dites donc, monsieur Laurin, votre voisin, Gustave Moreau, l’homme le plus riche de la paroisse, qu’est-ce qu’il est devenu ?

— Ah ! le pauvre Moreau on l’a enterré la semaine passée. Ben je te dis que sa richesse ne l’a pas rendu heureux. Il en avait reçu lui de l’argent de son père et il avait marié une fille riche qui est morte en lui laissant tout ce qu’elle avait. Alors, ça lui en faisait gros. Pis, il faut le