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Page:Laberge - Le destin des hommes, 1950.djvu/238

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LE DESTIN DES HOMMES

mortes et des arbres nus. Triste tableau. Pendant l’été, la nature parait cette terre d’idéal, de beauté, mais ce n’était qu’un mirage, une image trompeuse. Avec les jours d’automne, tout le rêve disparaissait comme dans la vie lorsqu’arrive la vieillesse.

Avec les premiers froids, la marchande se sentait terriblement vieille avec ses douleurs de névralgie et ses rhumatismes revenus. Pour obtenir un peu de soulagement, elle se frictionnait avec des onguents et parvenait à dormir quelques heures la nuit, mais les douleurs recommençaient au matin. Avec cela, son cœur malade battait furieusement dès qu’elle faisait un effort.

Lorsqu’elle sortait un peu, elle devenait vite glacée. Frileusement, elle rentrait en hâte à la maison et tentait en vain de se réchauffer près du poêle. Cependant, elle avait la satisfaction d’avoir sous la remise son bois pour l’hiver. Un matin, elle reçut une lettre du juif lui demandant de retourner prendre son emploi. Mais elle avait laissé là-bas ses dernières illusions. Depuis ses deux semaines à Beaufort, elle se voyait telle qu’elle était. Réellement, elle n’avait plus la taille ni l’apparence d’une employée de magasin. Vivre dans sa petite campagne, sans corset, avec de vieux souliers et de vieilles nippes, s’habiller juste pour aller à la messe le dimanche, ça gâte. Dans sa maison et son jardin, elle avait pris des habitudes de confort, de sans gêne qui étaient plus fortes que tout. D’avril à octobre, elle passait une partie de ses journées au grand air, dans son jardin. L’hiver, elle portait de gros souliers avec des gros bas de laine qu’elle s’était tricotés elle-même. Ce n’était pas élégant, mais chaud. Souvent, elle regardait les jeunes poulettes avec leurs petits seins pointus, toutes pareilles, les ongles vernis, pas de bas, des jambes laides mais portant des souliers à talons hauts et ayant juste une robe sur le