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LE DESTIN DES HOMMES

dos. Toutes se ressemblaient, tandis qu’elle, avec ses vieilles mains brunies par le soleil, gercées par le froid et le travail, paraissait une grand’mère. Non, elle n’avait pas du tout des mains de vendeuse.

Tous ses efforts pour travailler, pour se trouver un emploi convenable avaient lamentablement échoué. Vieille, elle était trop vieille. Un déchet, voilà ce qu’elle était. Avec quelle tristesse elle réalisait cette vérité. Péniblement, lentement, elle se résignait à son sort. Parfois, souvent même, elle pensait à la pension de vieillesse. Ça, c’aurait été le refuge ; elle lui apparaissait comme la Terre promise, mais elle avait encore bien des années, bien des mois, bien des jours avant d’arriver là. Certes, elle aurait joyeusement accepté de se trouver âgée à ce point, du jour au lendemain, pour entrer dans ce havre ; elle aurait troqué avec plaisir les onze années qui étaient devant elle pour arriver en un moment à soixante-dix ans. Mais c’était là un vain désir, un rêve irréalisable.


Une semaine avant Noël, deux femmes du village entrèrent presqu’en même temps au magasin de la veuve Rendon pour faire quelques menues emplettes. En s’apercevant, elles avaient échangé des amabilités, avaient causé de la température, puis l’une d’elles, Mme Huneau, s’était exclamé : « Je vous dis que je me suis fait un beau gâteau de Noël, le plus beau que j’ai jamais fait de ma vie. »

— Vraiment ? fit l’autre femme.

— Oui. Imaginez-vous que ma fille qui travaille à Montréal m’a envoyé une boîte de fruits glacés, toutes sortes de fruits, préparés spécialement pour les gâteaux. Alors, je vous dis que j’en ai fait un qui est beau et qui paraît bon. Ça sentait bon pendant qu’il cuisait.