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LE DESTIN DES HOMMES

c’était qu’un habitant, surtout un habitant comme Cyrille Latour, elle serait resté veuve dans son magasin de friandises où elle gagnait sa petite vie. Qu’on en commet donc des erreurs, des erreurs irréparables ! Puis, jamais, jamais d’argent. Ça c’est vraiment pénible. Même si on ne l’aime pas pour lui-même, l’argent, il en faut. Alors, comme l’on devenait de plus en plus pauvre, que la vie était difficile, elle s’était décidée un été à prendre des pensionnaires.

Tenir une pension. C’est bien triste d’en être réduit là. Pour en arriver à accepter ce gagne-pain, il faut avoir un fameux besoin d’argent. Être la servante d’étrangers souvent capricieux, malcommodes, exigeants, négligents, qui se lèvent et mangent à leurs heures, ça demande de la patience.

Tout d’abord, elle prit des citadins, des gens qu’elle connaissait, qui eux-mêmes, amenèrent des amis. Elle travaillait, mais ça payait. Seulement, pour accommoder ces gens, il lui fallut avoir le téléphone, un appareil de radio qui était ouvert à cœur de jour et faisait entendre toutes les cacophonies américaines et toutes les inepties parisiennes. Mais que n’endure-t-on pas pour de l’argent ? Toutefois, l’ennui le plus terrible, le plus insupportable, était les trois chiens de son mari qui envahissaient sa cuisine lorsqu’il entrait et qu’elle avait tout le temps dans les jambes. Ils s’étendaient sur le plancher, se relevaient, changeaient de place, se rapprochaient de la table, attendant la pâtée et, se trouvaient sans cesse dans son chemin. Parfois, impatientée au plus haut point, elle s’exclamait : Il me semble qu’un seul serait bien suffisant. Qu’est-ce qu’on a besoin de trois chiens dans une maison ?

— Des bons amis on n’en a jamais trop, répondait-il.