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LE DESTIN DES HOMMES

— Vous ne voulez pas empoisonner votre mari ? demanda-t-il en badinant.

— Non, ce n’est pas pour mon mari.

— Ce n’est pas pour vous, j’espère ?

— Non, mais je vais vous le dire. Je voudrais bien me débarrasser d’un de nos chiens. Je suis fatiguée, excédée, de les avoir dans la maison. Je suis rendue à bout.

— Bon, bon, fit l’autre. Ce n’est pas un grand crime et je vous comprends. Je vais vous donner ce qu’il faut. Ça n’y paraîtra pas.

Là-dessus, le vétérinaire fureta un moment parmi ses boîtes et ses fioles.

— Tenez, dit-il, mettez ces deux pilules dans un morceau de viande, donnez-les à votre bourreau et demain, vous serez débarrassée.

Et le lendemain, le fermier Latour trouva son chien Bayard mort près de la grange. Avec un atroce serrement de cœur, il regardait le cadavre de ce compagnon de tant de jours. Il était bouleversé, écrasé par sa douleur. Jamais auparavant, il n’avait éprouvé rien de tel. Immobile devant ce corps sans vie, il était plongé dans un abîme de désespoir. La cause de la mort, il ne pouvait se l’imaginer, la deviner, ni même la supposer. Simplement, il était devant un fait brutal. Son chien Bayard était mort.

Au pied d’un pommier qu’il avait planté lui-même vingt ans auparavant, il creusa une fosse, étendit dans le fond l’un de ses vieux habits, puis y déposa pieusement le corps de son fidèle ami.

À sa femme il ne dit pas un mot. Elle était incapable de comprendre sa peine.

Désormais, il ne lui restait qu’un seul ami, Capitaine, bien vieux maintenant.