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LE DESTIN DES HOMMES

Pendant une dizaine de jours, elle vécut dans un état d’exaltation intense. Un jeune homme, un jeune homme élégant, distingué, beau garçon, lui avait dit qu’elle avait des yeux violets, de la couleur des iris !

À plusieurs reprises, Lionel Desbiens avait proposé à son oncle et à sa tante de faire un petit voyage dans les Cantons de l’Est, au lac Brome. Cette région l’avait enthousiasmé et il voulait la faire admirer à ses parents. Un vendredi soir donc, ils s’entendirent tous les trois pour partir le samedi matin de bonne heure, afin de faire un voyage agréable.

— J’ai bien envie de demander Mlle  Lepeau pour venir avec nous, fit le jeune homme.

— Mais c’est très bien, répondit la tante. C’est une fille bien tranquille, bien sage, pas gênante du tout, pas une étourdie comme il y en a tant et qui appréciera sûrement cette excursion.

— Dans ce cas, je vais l’inviter immédiatement, déclara le jeune homme.

L’on partit à huit heures le lendemain matin après un frugal déjeuner. La voiture roulait bien, à une vitesse modérée, de sorte que les voyageurs pouvaient pleinement apprécier la beauté du paysage des régions que l’on traversait. Le midi, l’on arrêta pour prendre un dîner au poulet dans une pension qui était un rêve de propreté et où le service était parfait. L’on se reposa pendant une heure et demie puis l’on se remit en route. Le vieux couple et la jeune fille étaient enthousiasmés. Bordé de bois de pins au milieu desquels se cachaient d’élégantes villas, le lac Brome les enchanta absolument. Lucienne était pâle de joie. Elle vivait des heures fabuleuses. De temps à autre elle regardait son compagnon, mais parlait très peu, paralysée par l’émotion qui l’étreignait.