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Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/39

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dans sa poche et les déposa sur la cheminée. Quelques autres l’imitèrent, mettant là leur maigre avoir. D’autres, et pour cause, ne mirent rien du tout. Ainsi fut fondée, il y a environ trente-cinq ans, à Londres, la Société des Douse Apôtres de l’Art. Les jours s’écoulèrent. Dès que l’un des Douze avait vendu un tableau, une petite toile, il arrivait et déposait sur la cheminée le prix qu’il en avait reçu. Pareillement lorsqu’ils en avaient besoin pour manger, se procurer un vêtement, chacun des frères puisait, sur la cheminée, à la cassette commune. Un immense enthousiasme régnait dans la petite communauté. Tous étaient animés des sentiments les plus nobles, les plus généreux. Au cœur de l’énorme ville de sept millions d’hommes, les Douze Apôtres de l’Art vivaient un rêve de beauté et de bonté comme le monde n’en avait pas vu depuis longtemps. Sur les douze cependant, il n’y en avait que deux dont les œuvres se vendaient, trouvaient des acquéreurs : celles du Peintre-Poète et de son ami le plus cher. C’était toujours eux qui mettaient sur la cheminée l’or que les autres se partageaient pour subvenir à leurs besoins. La société cependant continuait d’exister. Elle continua jusqu’au jour où l’un des dix qui n’avait jamais rien contribué au fonds commun, mais qui y avait régulièrement puisé, avec les autres, prit la dernière guinée pour s’acheter des chaussures, laissant le fondateur du groupe se passer de souper.

La Société des Douze Apôtres de l’Art qui avait soulevé à son origine un si vif enthousiasme avait vécu. Comme tous les beaux rêves, elle n’avait pu résister à l’épreuve de la vie, de la dure réalité. Les Douze Apôtres se dispersèrent. Quelques-uns sont demeurés fidèles à l’art, d’autres crevant de faim, se sont faits commerçants, et d’autres encore sont morts. Le Peintre-Poète, celui qui avait été l’âme du petit groupe, a conservé ses illusions, son cœur généreux. Et, à travers le monde, il va pèlerin de l’Art, prêtre de l’Idéal, victime de la Chimère.

De Belle et sa famille passaient par des hauts et des bas continuels. Après des périodes de gêne, ils connaissaient l′abondance, mais pas pour longtemps, car l’argent filait vite, très vite.