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Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/44

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lument envoyer des fleurs, on aurait pu se borner à dépenser $15. Mais ne peut-on laisser les enthousiastes et les fervents de l’art oublier un moment les dures nécessités de la vie et exprimer leur admiration par une extravagance ?

De Belle tient le métier de peintre en haute estime et il ne permettra pas que des considérations d’argent viennent abaisser la dignité de l’artiste. En plusieurs circonstances, il a donné de cruelles leçons à de gros sacs qui semblaient le considérer comme un homme à gages. Alors qu’il habitait boulevard Décarie, il vit un jour arriver chez lui une dame accompagnée de son mari. Elle lui expliqua qu’elle désirait qu’il fit le portrait de sa fille. L’artiste s’informa quand elle pourrait venir poser. « Ma jeune fille est dans un collège à Londres, répondit la dame, mais j’ai apporté une excellente photographie. » Comme il avait à ce moment grand besoin d’ar­gent, de Belle accepta d’exécuter le portrait d’après le cliché fourni, chose qu’il n’avait jamais fait auparavant. Or, de Belle travaillait depuis trois jours à son sujet lorsque la dame s’amena de nouveau avec son mari, celui-ci portant une grande boîte. Aussitôt entrée, la dame l’ouvrit et en sortit un tas d’étoffes. « Voilà, dit-elle. Je voudrais que vous vous serviez de ces draperies pour le fond de votre tableau. Je voudrais aussi que vous mettiez une robe bleue à ma fille. » D’un geste indigné, de Belle repoussa les étoffes et montrant la porte à la visiteuse : Madame, vous êtes ici chez un artiste et non chez une modiste. Puis se tournant vers le mari : « Je regrette, monsieur, que vous ayez payé le prix d’une course en taxi pour venir ici. »

De Belle n’agissait pas ainsi avec tout le monde et il savait manifester sa sympathie à ceux qui appréciaient son art. L’année de son arrivée au Canada de Belle reçut à son logis de la rue Saint-Hubert la visite d’un jeune anglais qui avait entendu parler de lui et était désireux de le connaître et de voir ses œuvres. L’artiste le reçut très cordialement. Avant de partir, l’étranger expliqua qu’il aimerait fort à acheter tel pastel qui lui plaisait fort, mais que la chose lui était impossible dans le moment, son maigre salaire lui per-