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Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/43

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marché tout le jour et sont las, exténués. Appuyé sur son bâton, le corps légèrement penché en avant, l’homme enveloppé de lamentables loques et la tête nue, regarde devant lui. Son masque effroyablement douloureux, révèle toute une existence de rebuté et de paria. Il interroge anxieusement l’espace. Où trouvera-t-il le souper et le gîte ce soir ? Troublant et difficile problème qui est le problème quotidien. La morne et douloureuse expression que l’on voit sur sa figure, nous montre clairement qu’il n’espère rien. On le sent par habitude résigné à son sort, à sa misère. À côté de lui, sa compagne, la chair douloureuse, les jambes rompues de fatigue et les pieds meurtris, semble vouloir s’affaisser. Elle est si épuisée qu’elle ne peut plus avancer. Elle va choir. Et le soir couleur de cendre, sans un seul rayon, enveloppe les deux malheureux…

Les œuvres de Charles de Belle s’adressent surtout au cœur et à l’esprit. Ceux qui les aiment ne les aiment pas à demi. Ils les aiment avec passion, les considèrent comme des trésors inestimables. Le propriétaire d’une grande brasserie de Londres possède peut-être cent cinquante pastels du Peintre-Poète ; un autre enthousiaste admirateur de de Belle a acca­paré tous les tableaux que l’artiste a produits pendant une couple d’années, alors qu’il demeurait en Écosse ; une grande dame de cette ville s’enorgueillit d’une galerie de plus de quatre-vingt compositions de Charles de Belle. Les admira­teurs du talent de cet artiste lui ont voué un culte. Le rêve pour eux serait d’avoir une pièce décorée uniquement de pastels de cet artiste, une pièce pour le recueillement, la méditation et qui serait ainsi une chapelle d’art.

Rendant un jour visite à l’artiste, je vis dans l’anticham­bre un superbe panier d’orchidées d’une valeur d’au moins $75 qu’une fervente admiratrice de son talent lui avait envoyé. Quelques jours auparavant, elle lui avait acheté une petite étude qu’elle avait payée $15 et elle avait été telle­ment enthousiasmée qu’elle lui avait fait porter ces fleurs de luxe. J’entends les gens pratiques s’exclamer, protester et déclarer que lorsqu’un pauvre artiste est dans le besoin on ne lui envoie pas pour $75 d’orchidées, qu’il eut été préfé­rable d’acheter un tableau de ce prix et, que s’il fallait abso-