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Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/57

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dis que c’est celui-ci qui va couronner mes efforts. Et quand je me suis éreinté, pendant de longues séances, je découvre avec découragement que c’est encore à recommencer, mais je suis quand même heureux parce que j’ai toujours l’illusion que ce sera la prochaine œuvre. Ô ! sainte illusion qui dore la vie de sa prestigieuse espérance.
Comme vous, hélas ! en vieillissant, je vois le cercle de mes relations qui se rétrécit — et impossible d’en renouer de nouvelles. Nos espoirs ne sont pas les mêmes que ceux de cette génération de jouisseurs. Quelques fois je me dis que, en vieillissant, je deviens trop absolu — peut-être — mais tout de même, il me semble bien me rappeler qu’à mes débuts à Paris, nous étions une foule de jeunes qui nous contentions d’une autre nourriture.
Camille Mauclair a commencé une campagne pour réagir contre l’influence mauvaise exercée par les mencanti et quand j’aurai l’occasion de lire un de ses articles dans mon journal, je vous l’enverrai.
Ils en sont arrivés à sacrer homme de génie une espèce de simple qui était douanier et qui, à l’âge de 60 ans, s’est mis à faire de la peinture. J’ai connu ce brave homme quand j’étais aux Beaux-Arts. Nous allions à plusieurs copains faire des pochades de Paris sur les quais et entre autres points de vue que nous aimions à peindre, il y avait celui de la pointe de la cité vue du quai, sous le pont des Arts, juste à côté de la baraque de douane ou ce vieux serein faisait son métier de douanier. Je me rappelle parfaitement l’avoir vu et entendu nous dire : « Quand je prendrai ma retraite, moi aussi je ferai de la peinture, car j’aime bien ça. Le dimanche, je m’amuse à copier les images du Petit Journal illustré. » Et en effet, quand il a travaillé d’après nature, cela est resté image du Petit Journal. Des farceurs, pour se moquer de la naïveté des critiques, ont un jour monté ce bateau à ces jobards et ils ont fini par s’y prendre eux-mêmes.
Les marchands une fois engagés dans cette spéculation ont soutenu le marché comme le font les financiers en bourse pour soutenir des valeurs véreuses. Mais gare la dégringolade ! Elle s’annonce déjà. On attend de voir mordre les américains. Puis on fera machine en arrière quand les stocks seront épuisés.
Un tas de jeunes vidés, d’ignares, ont emboité le pas, trouvant beaucoup plus facile de faire du scandale plutôt que des études dures et longuement improductives. Avec le nouveau système, un âne bâté est homme de génie du jour au lendemain.
Mais ne vous laissez pas prendre à cette frime, continuez de vous fier à votre jugement et aux vieux maîtres qui vous ont formé.