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Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/58

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La Vénus de Milo est éternellement belle, et Velasquez, Rembrandt, Delacroix, Corot et Daumier seront toujours de grands maîtres et des créateurs de beauté. Les guenons qu’on voudrait mettre sur nos murs sont indignes de nos lits — et c’est là, en dernier ressort, que le goût du mâle se retrouve.
En littérature, nous en reviendrons toujours aux vrais écrivains et aux grands artistes de lettres. Renan, Michelet, Balzac, seront toujours grands, et la jeune école ne les fait pas oublier.
Aimez-vous Gorki ? Dostoievski ? Ce sont les seuls qui nous ont apporté une forme et des sensations inconnues des vieilles littératures. J’en ai une collection dans ma bibliothèque et je ne me lasse pas de les relire.
Je vous ai bien rasé, mon cher ami, mais c’est votre faute ; il ne fallait pas me mettre sur cette voie. Quand je passe devant une vitrine de marchand de toiles ou de livres, je suis écœuré et, comme beaucoup de gens par snobisme ou par esprit de contradiction se pâment d’admiration ou d’éloges, je ne dis rien parce que moi, je discute avec sincérité et que ces gens n’ont d’opinions que celle des marchands. Il n’en sortirait rien et je m’en rends compte ; aussi, je me tais.
Sur ce, mon cher ami, au revoir et dormez sur vos anciennes admirations. Ne vous troublez pas la cervelle avec toutes ces élucubrations modernes.
Bien des choses de nous deux au vieil ami toujours fidèle.
Votre tout dévoué,

Henri Beau.

Ces admirables pages ne révèlent-elles pas tout ce qu’est l’homme et l’artiste ?

Jetant un coup d’œil nostalgique en arrière, pensant aux années passées, à ces œuvres auxquelles on a songé mais qu’on n’a jamais réalisées, Beau s’exprime ainsi dans une lettre de janvier 1929 :

J’ai souvent des remords, des remords cuisants, de n’avoir pas profité de mon séjour au Canada pour en rendre les différents aspects. À ce moment, j’étais encore si plein du paysage de France que mon œil n’a pas su discerner toute la finesse qui se dégage de notre hiver et de notre automne. Et maintenant, il est trop tard, hélas ! Je n’aurai probablement jamais l’occasion de le revoir. C’est dommage, car je me sens maintenant capable d’en exprimer toute la poésie.