Aller au contenu

Page:Laberge - Peintres et écrivains d'hier et d'aujourd'hui, 1938.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Alex Jackson, l’un des plus puissants, des plus personnels et des plus sincères parmi les peintres canadiens revint lui aussi à Montréal après un séjour d’une couple d’années en France et en Italie. Avec son camarade Randolph Hewton qui avait passé quelque temps en Palestine, il donna une exposition qui était un événement artistique. Jackson avait une soixantaine de toiles dans lesquelles s’affirmait son grand talent de paysagiste. Il ne vendit pas un seul tableau. Dégoûté, il laissa Montréal pour aller s’établir à Toronto où il a vécu depuis et où il a fondé le Groupe des Sept qui a eu une énorme influence sur la génération actuelle.

Après avoir étudié en France pendant plusieurs années, Henri Fabien encore dans les vingt ans et dont le père était manufacturier de meubles à Sainte-Cunégonde revint au pays avec une remarquable série de scènes de Bretagne et une belle barbe blonde. Malgré ses toiles pleines de talent et la broussaille dorée qui encadrait sa figure, il ne put réussir à s’im­poser comme peintre. Le rencontrant un jour, un ami de sa famille, désireux de l’encourager, lui fit la généreuse offre suivante : « Si tu veux faire mon portrait, je te donnerai bien cinq piastres. »

Amèrement désabusé, Fabien en racontant ce fait décla­rait d’un accent convaincu et d’un ton de large mépris : « Il n’y a qu’une seule chose à faire ici : de bonnes vieilles cou­chettes canayennes. » Il devint fonctionnaire à Ottawa et, par la suite, ne fit de la peinture que pour se distraire.

L’originalité a été ridiculisée par ceux-là même qui au­ raient dû être les premiers à reconnaître le talent et la forte personnalité d’un artiste. Je me rappelle toujours avec écœu­rement un incident dont je fus témoin lors d’une visite que je fis un jour aux salles de l’Art Association. Il y avait une exposition et le gouverneur général du Canada faisait le tour des salles en compagnie d’un académicien. Et en passant devant un tableau d’un des membres du Groupe des Sept, j’entendis ce dernier, j’entendis ce pion, ce plat courtisan émettre en riant, pour essayer de faire de l’esprit, la sotte opinion que cette toile avait peut-être été peinte sous l’effet des fumées du whiskey. Cette immonde raillerie me donne encore un haut le cœur.