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QUAND CHANTAIT LA CIGALE

Devant la maison, les hauts lilas qu’agitent le vent font pleuvoir sur le sol une pluie de pétales pâles. Entre les grands arbres, l’eau de la rivière chatoie au soleil.

C’est l’heure de la messe. Des voitures passent sur la route.

Et tante Eulalie, toute de noir vêtue, retourne à l’église.

La campagne est calme infiniment.

Du côté de la grange, une brave ouvrière de poule qui vient de pondre un œuf, chante.

Le midi, nous dînons de quelques achigans qu’un ami nous a envoyés hier.

Maintenant, tante Eulalie s’en va aux vêpres. Toujours en noir, image d’un éternel deuil, elle glisse doucement de son pas régulier sur la route tranquille. Tout à l’heure, au banc de famille, dans la paix du petit temple, elle lira dévotement l’office dans son paroissien ; elle s’abandonnera à de longues oraisons et récitera de multiples chapelets, comme elle fait depuis si longtemps chaque dimanche, comme elle fera dimanche prochain.

Le soir, Dearest et moi, faisons une promenade. Nous nous dirigeons du côté de la gare ou un train attend l’express de Montréal qui passera dans quelques minutes. La locomotive lance constamment de puissants jets de vapeur blanche. Comme ils s’élèvent, le soleil couchant les colore d’une belle nuance mauve, puis d’un rose délicat. Cette colonne de vapeur donne par moment l’effet d’une fusée, d’une pièce pyrotechnique qui s’élance vers le ciel.

La locomotive s’ébranle maintenant et elle projette vers le firmament d’énormes tourbillons vaporeux d’un bleu foncé qui, avant de se dissoudre et de disparaître, prennent les plus jolies formes possibles.

Le spectacle est réellement de toute beauté.

C’est l’apothéose d’un jour heureux.