Page:Laberge - Quand chantait la cigale, 1936.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


STATUETTE DE LA VIERGE


Cet après-midi, tante Eulalie fouille dans ses boîtes. Elle a comme cela des journées où elle s’arrête de frotter, de laver, de balayer, de nettoyer, où elle s’enfonce dans le passé avec toutes les vieilles choses d’autrefois qui lui rappellent les années de sa jeunesse, de sa famille en partie disparue. Elle remue religieusement de vieux objets qui sont précieusement serrés et qu’elle ne sort qu’à de rares intervalles.

Elle me montre une statuette de la Vierge tenant l’Enfant dans ses bras. C’est une délicieuse image en ivoire jauni trouvée dans l’ancien cimetière de Chateauguay qui se trouvait presqu’à côté de la maison de l’oncle Moïse. Les enfants du fossoyeur s’en servaient en guise de marteau pour casser des noix. Ma grand-mère qui passait les vit, arrêta et obtint la statuette en échange d’un pain. La huche du fossoyeur était vide, me raconte tante Eulalie et sa femme eut tôt fait de troquer pour une miche la trouvaille faite par son mari en creusant une fosse. « Mais elle avait huit enfants » ajoute tante Eulalie en manière de justification.

Les noix étaient dures cependant et, à les vouloir casser, les gamins avaient brisé la tête du Jésus. Très simplement, tante Eulalie l’a remplacée par une figure en faïence provenant d’une minuscule poupée qu’elle a collée tant bien que mal sur l’ivoire jauni.

Je prends dans mes mains la vieille statuette provenant d’une tombe inconnue, j’admire le travail délicat, la pureté et la douceur de l’expression, le charme de cette figure, et je souris en regardant la tête de poupée en faïence qui représente maintenant l’enfant Jésus.