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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

digne des pires tourments de l’enfer éternel. Lorsqu’il prêchait, lorsqu’il condamnait l’impureté avec des éclats de voix et des gestes désordonnés, le visage du prêtre devenait écarlate, apoplectique. Par suite de leur violence, ses prédications jetaient le trouble dans les cerveaux, perturbaient les esprits et éveillaient de malsaines curiosités.

— Il pense donc rien qu’à ça, disait la Antoine LeRouge, la couturière du village.

— Il doit avoir le feu quelque part, ajoutait le mari.

— À parler comme ça, il souffle sur les tisons pour allumer le feu, déclarait une vieille voisine qui avait l’expérience de la vie.

Or, un soir de juillet, après souper, le notaire était à arracher quelques mauvaises herbes dans son jardin, à côté de sa maison, pendant que la robuste Françoise était occupée à arroser les fleurs. Le curé vint à passer. Courbé entre les plants de géranium, le notaire se redressa en entendant un pas lent et lourd sur le trottoir en bois. Apercevant le prêtre, il le salua. Ce dernier s’arrêta, appuya son corps épais et puissant sur la clôture qui bordait le parterre.

— Vous n’arrêtez donc jamais de travailler, monsieur Daigneault ?

Alors, celui-ci, badin :

— Bien, monsieur le curé, ça chasse les mauvaises pensées.

— Justement, reprit le prêtre, je voulais vous entretenir d’une chose que je ne peux approuver. Vous vivez avec deux femmes dans votre maison. Je ne dis pas que vous commettez le mal, mais ça ne paraît pas bien. Il faudrait vous marier.

Le notaire restait trop surpris pour répondre. Machinalement, il s’essuyait le front avec la paume de la main.