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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— C’est grave ce que vous dites là, monsieur le curé. Forcer les gens à se marier quand ils n’en ont pas envie c’est un peu raide et ça peut avoir des conséquences regrettables. Puis, comme vous venez de le dire, je ne fais pas le mal.

— Je n’en doute pas, mais c’est là un exemple pernicieux et je me trouve dans l’obligation de vous parler comme je fais.

— Mais, monsieur le curé, je me trouve très bien comme je suis. Ça fait vingt ans que ma femme est morte et je n’ai jamais pensé à me remarier. Puis j’ai jamais entendu dire que quelqu’un se scandalisait parce que j’ai deux servantes dans ma maison.

— Vous ne pouvez savoir ce que le monde pense ou suppose. Faites ce que je vous dis. Mariez-vous.

— Oui, oui, mais une femme qui nous convient, ça se trouve pas comme une jument qu’on veut acheter. Puis, si elle a des défauts cachés, on peut pas la retourner. Faut la garder.

— Oui, tout ça c’est vrai, riposta le curé, mais vous êtes l’un des principaux citoyens de la paroisse et il faut que vous soyez au-dessus de tout blâme. Faut vous marier.

— Dans tous les cas, j’vas y penser, monsieur le curé.

Et la puissante masse noire se redressa, le prêtre regagnant lentement son presbytère de sa démarche lourde et balancée pendant que le notaire le regardait s’éloigner, suivant des yeux le dos noir en dôme, aux robustes épaules qui faisaient des bosses à la soutane.

Maintenant, jamais monsieur Daigneault n’avait eu le moindre désir coupable à l’égard des deux vieilles filles qui vivaient sous son toit. Sa passion, c’était son jardin, ses fleurs. Si les vers ne rongeaient pas ses rosiers, si ses dah-