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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

cheveux grisonnants, s’en retourna à sa petite chambre sous le toit, éclairée par une lucarne.

Il sentait une détresse effroyable peser sur lui. Il aurait aimé mourir. M. Thouin s’arrêta à cette idée. Si je mourais cette semaine, se disait-il, en manière de supposition. Et il se figurait la surprise qu’éprouveraient ses connaissances à apprendre la nouvelle de son décès. Il songeait à la manière dont les journaux annonceraient sa mort. Soudain, il lui vint à l’idée de rédiger lui-même une notice nécrologique. Il arracha deux feuilles d’un vieux cahier qui traînait depuis longtemps dans un tiroir de son chiffonnier, s’assit devant sa petite table et, gravement, laborieusement, se mit à écrire en s’efforçant de se rappeler les formules généralement employées par les reporters. Au bout d’une demi-heure d’efforts, il avait accouché de la note suivante :

« Nous sommes au regret d’annoncer la mort de M. Prosper Thouin, ancien commerçant, avantageusement connu en notre ville, décédé hier après une courte maladie. Il était âgé de 53 ans et 5 mois. Le défunt qui s’était autrefois employé à populariser le goût de l’art et du beau parmi les nôtres et qui avait fondé un magasin qui était un petit musée, était un esprit cultivé. Il était doué d’un naturel affable et comptait nombre d’amis que sa disparition plonge dans le deuil. C’est un brave et honnête homme qui vient de disparaître. Nos sympathies à la famille. »

M. Thouin relut cet écrit non sans quelque satisfaction, plia la feuille en quatre et la déposa sur le milieu de la petite table. Il alla ensuite s’étendre sur son lit solitaire, se croisa les bras sur la poitrine et se plaça comme on le mettrait un jour dans son cercueil. Oui, tel il serait