Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
159
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

mari, elle tâchait de prendre de la vie toute la gaieté possible.

Et l’on revint à Montréal. Bientôt, un juge devint le familier de la maison. À la fin de l’après-midi ou le soir, on le rencontrait se promenant avec le Dr Demesse et sa femme. Trois bons amis.

Et pendant ces jours, Yvette, la plus jeune des quatre sœurs, cette maigrelette sans aucun charme, n’ayant rien pour plaire aux hommes, avait enjôlé l’un des pensionnaires de sa mère, un sténographe, doué d’une jolie figure, mais tuberculeux. Il l’avait épousée et s’était ensuite consumé en quelques mois. Il l’avait laissée veuve en lui léguant une dizaine de mille piastres. Aussitôt, elle avait rencontré de braves gens qui lui avaient trouvé d’excellents placements pour son argent. Elle en avait mis une partie dans des actions de mine d’or et la balance dans des terrains pour la construction. Elle avait tout perdu.

Puis la mère Thomasson mourut. Le carillon du cadran ne l’éveillerait plus, la voix métallique ne la ferait plus péniblement sortir du lit le matin alors qu’il ne fait pas encore jour pour allumer son poêle et préparer des déjeuners. Elle avait fini de cuisiner, de faire de la mangeaille, de laver de la vaisselle sale, de nettoyer des chambres. Elle allait enfin se reposer. Pour longtemps. Dans la paix du cercueil, vêtue d’une robe noire neuve. Zéphirine vint de Chicago pour les funérailles. Elle avait les mains couvertes de diamants et sa sacoche était remplie de billets de banque. Son homme à ce qu’elle laissait entendre brassait l’argent à la pelle. Elle ne disait pas ce qu’il faisait. Ses sœurs imaginaient qu’il était bootlegger ou trafiquant de drogues. Mais elle vivait richement. Elle repartit.