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RÂLES DANS LA NUIT



UN mourant agonise dans la nuit.

Au milieu de l’obscurité épaisse, opaque, il râle un râle rauque, étendu dans une chambre aux murs d’ombre.

Près de lui, effondrée sur une chaise, terrassée par de multiples veilles, assommée par la fatigue, la garde-malade ronfle d’un ronflement sourd, tragique, qui semble sourdre de ses entrailles.

Par la fenêtre entr’ouverte arrive le halètement puissant d’une locomotive dans la nuit illimitée, halètement formidable qui déchire l’air, qui laisse deviner d’immenses efforts, une énorme machine remorquant de lourds wagons sur des rails, au milieu des champs de neige, sous un ciel sans lune et sans étoiles.

Et, sur un meuble, dans la pièce enténébrée, un cadran fait entendre son monotone tic tac, voix métallique qui se mêle au râle du mourant, au ronflement de la garde endormie, au halètement de la locomotive.

Dans son lit, la loque humaine râle son agonie, ses longs bras maigres étendus le long de son corps, parmi les draps moites. Les ténèbres semblent peser sur elle, écraser sa poitrine comme un fardeau, comme une pierre. Ja-