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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

portrait de la femme en rose. Celui-ci refusait, ne prévoyant pas pouvoir trouver un acquéreur.

— Il faudrait vendre cela à un musée, déclarait-il, et c’est bien difficile.

Rebuté de ce côté, le docteur s’adressa à un encanteur qui vendait des collections de peintures sans grande valeur artistique. Celui-ci lui offrit un prix dérisoire, pas même le cinquième de la valeur du cadre seulement… Le docteur accepta quand même. C’était tout ce qui lui restait. Le lendemain, la voiture du marchand vint chercher le tableau. Ils étaient deux hommes. Ils entrèrent dans le salon. On aurait dit des entrepreneurs de pompes funèbres. Un moment, ils regardèrent le grand portrait accroché au mur, puis Mme  Demesse qui se tenait là, debout dans la pièce.

— Elle a vieilli, se dirent-ils en eux-mêmes.

Alors, ils s’approchèrent du tableau qui avait été la gloire de ce salon, qui avait été si fort admiré. Ils le décrochèrent.

— Ce serait plus prudent d’enlever la toile du cadre, fit l’un des ouvriers.

Et celui-là qui avait parlé prit des pinces dans sa poche et il arracha les clous qui retenait le portrait au châssis. À un moment, il le détacha et le somptueux cadre d’or qui enfermait la séduisante image d’une femme blonde drapée de rose se trouva vide. Alors soudain, la pièce parut sombre, lugubre, infiniment triste. Les deux hommes étendirent la toile sur le tapis du plancher et, agenouillés de chaque côté, ils commencèrent à la rouler en commençant par le bas. Accablée, découragée, Mme  Demesse les regardait. Les pieds puis les genoux disparurent, les jambes et les hanches s’effacèrent, le buste se trouva caché à son tour.