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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

hurla qu’on vidait la maison et qu’il perdait ses garanties. Le Dr  Demesse réussit à le calmer en lui promettant un acompte dans un bref délai. L’argent du piano s’en alla. Les patients ne venaient plus ou si rarement qu’il ne fallait plus compter sur eux. Le propriétaire était maintenant menaçant. Il ne parlait de rien moins que d’expulser ses locataires et de faire saisir leurs meubles. Alors désespéré, le docteur lui signa un acte par lequel il lui abandonnait tous les effets dans la maison pour le loyer dû et deux mois à venir.

— Tout, moins le portrait de ma femme, déclara-t-il, au moment de signer le document.

Le propriétaire acquiesça. Il ne tenait pas à avoir chez lui le portrait de sa locataire. Contre toute raison, l’on attendait toujours des patients. Il n’en vint pas. L’on mangeait les derniers sous. Fatigué de n’être jamais payé, l’épicier refusa d’avancer même une demi-livre de thé. L’on n’avait plus d’argent et l’on allait se trouver sans gîte. La limite de temps fixée par le propriétaire expirait dans trois jours. L’on n’avait plus une chaise, plus une assiette, plus un oreiller à soi. La rue pour refuge. Le docteur tenta de louer un nouveau logis, mais comme il ne pouvait payer un mois d’avance, il ne trouvait rien. L’on songea alors au petit ouvrier électricien qui avait épousé Adèle. Il fallait mettre toute fierté de côté. Mme  Demesse alla voir sa sœur et lui demanda si elle ne consentirait pas à les héberger pendant quelques jours, le temps de trouver une maison. L’autre y consentit, apparemment de mauvaise grâce, mais satisfaite au fond de goûter l’humiliation de la belle dame d’autrefois. De son côté, le docteur allait voir un marchand de tableaux et lui proposait de lui vendre le