Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
192
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

était marié et avait deux fils de dix-huit et vingt ans. Mais depuis des années il était sans travail. Lui aussi s’était mis sous le secours direct. Ça n’allait pas mal, mais voilà qu’en voulant ajouter au revenu paternellement accordé par la ville, les deux garçons avaient dévalisé un conducteur de taxi après l’avoir assommé. Cela leur avait valu deux ans de pénitencier. Toutefois, leurs noms étaient restés sur la liste des secourus et le père continuait de retirer le subside pour quatre personnes.

La grosse Clara avait préparé une collation. L’on mangeait des sandwiches, des fruits, des gâteaux, des amandes, l’on buvait du café, des liqueurs, de la bière. Puis, Léon, Clément et René arrivèrent à tour de rôle.

Après avoir été joueur de baseball, Clément avait épousé une veuve qui avait quelques milliers de piastres. Naturellement, il avait mangé le bien de sa femme, puis l’argent disparu, celle-ci avait gagné la vie du ménage. Ensuite, elle était morte. Alors, peu après le commencement de la crise, il s’était remarié. Il avait épousé la fille de la maison où il louait une chambre et il avait un enfant de dix-huit mois.

— C’est un commencement. Pis, on va faire baptiser bientôt, dit-il. Comme ça, avec deux enfants, pis moé pis ma femme, ça fera quatre personnes. Avec ce que je vais retirer du secours pour quatre, on pourra vivre à l’aise. Et il était très satisfait.

Quant à Clément, après avoir longtemps cherché, il s’était trouvé une occupation sinon très lucrative, du moins originale et peu fatigante. Il avait formé un attelage de trois chiens et, l’été avec une petite charrette, et l’hiver avec un traîneau, il avait tour à tour annoncé un cabaret, une salle de danse, un restaurant, un journal du dimanche.