Aller au contenu

Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/205

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Il a une petite figure qu’on dirait achetée à crédit, ajoutait la femme de l’épicier du coin.

Dans le quartier, on l’avait surnommé Tout P’tit. Il se nommait Armand Prouvé. Son père avait une petite boutique de menuisier dans une ruelle sombre. Il exécutait de menus travaux. Il pouvait remettre d’aplomb une table boiteuse, réparer une machine à laver, refaire un escalier extérieur. Il demeurait dans la maison de sa mère. La vieille occupait le rez-de-chaussée et son fils, le premier étage.

La mère de Tout P’tit était une forte et robuste femme. Elle avait de gros bras rouges, de grosses joues, de larges hanches, de gros seins et de grosses fesses que l’on devinait lourdes sous sa jupe de cotonnade. Elle prenait son plaisir à balayer, frotter, épousseter. Tous les matins, l’été, après avoir fait le ménage dans son logis, elle descendait l’escalier et, en robe sans manches, ses énormes bras rouges à l’air, elle balayait le trottoir devant la demeure de sa belle-mère.

— Si je ne veux pas que la poussière monte chez moi, faut bien que je l’enlève en bas, disait-elle.

Et alors, elle balayait vigoureusement, au grand ennui des passants qui recevaient la poussière à la figure ou sur leurs habits.

— J’ai peut-être pas autant de qualités que d’autres, disait-elle avec un air qu’elle cherchait à rendre modeste, mais je tâche de tenir ma maison propre. Personne peut dire que je suis salope. Tenez, parlez-moi pas d’entrer chez quelqu’un et de voir des vieilles chaussures dans un coin, des journaux sur les tapis et des meubles couverts de poussière. Ça, ça me dévisage. Moi, j’aime à voir une maison nette.