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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

L’on était tout au bas de la côte.

Trois hypothèques, c’était grave, grave…

Puis, les filles avaient cessé d’être les dociles et patientes pourvoyeuses de leur père. Elles avaient pratiquement fini de lui donner un revenu. À la fin, elles avaient secoué le joug et il n’en tirait presque plus rien. À l’âge de quatorze ans, il les avait mises en service à la ville.

Mais à laver des planchers et des crachoirs dans un restaurant, on ne devient pas rosière. Emma était devenue putain dans un bordel de la rue Cadieu. Elle était là depuis des années.

Mélanie elle, avait eu un sort presqu’aussi triste. Son premier patron, le vieil hôtelier-rentier, l’avait prise de force le jour même où elle était entrée dans sa maison. Depuis, elle avait fait bien des places. Elle avait finalement échoué dans un petit quick lunch où, pour un prix modique, les vagabonds, les affamés venaient tromper leur faim en mangeant des nourritures grossières et frelatées préparées avec de la graissaille et des huiles rancies. Comme cuisinière, elle recevait un modeste salaire, mais elle se faisait gruger, rançonner, par l’un des habitués de la place qui lui faisait payer cher les quelques faveurs qu’il lui accordait. Elle n’avait jamais un sou à elle.

Quant à Rosalie, elle avait fini par se marier, mais son mari l’avait abandonnée au bout de quinze mois. Alors, elle s’était mise à louer des chambres et elle vivait maritalement avec l’un de ses pensionnaires.

Pour ce qui était d’Eugène, il y avait beaucoup d’obscurité dans sa vie et ses faits et gestes étaient peu connus de sa famille.