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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Écoutez, poupa, vous auriez pas dû parler comme ça, fit Mélanie lorsque sa sœur fut sortie de la maison, Emma a bon cœur et elle a fait tout ce qu’alle a pu faire pour vous, pas seulement aujourd’hui, mais depuis qu’à travaille.

Le vieux les regardait de son petit œil et il avait une expression mauvaise.

— Tu veux parler pour toé, aussi, j’imagine, fit-il. Mais j’vas te l’dire à toé aussi. Si tu avais voulu, tu aurais pu m’aider plus que tu l’as fait. Seulement, tu as préféré donner ton argent à un paresseux. Ton bourgeois m’la dit ane fois. Il a dit : Mélanie c’est ane bonne fille, à travaille ben, mais c’est d’valeur, à s’fait arracher son argent par un bon à rien. Une heure après que j’l’ai payée, je suis sûr que l’argent que je lui ai donné est dans la poche de ce fainéant. Ben, i m’a dit ça, ton bourgeois. Pis moé, j’vas te l’dire. Faut pas qu’ane fille soit ben fière pour payer un homme. Emma, elle au moins, à s’fait payer. Toé, tu les paies.

— Mettons que j’les paie, si vous voulez. Dans tous les cas, c’est mon argent et j’sus ben maître d’en faire c’que j’veux. J’travaille pour. Mais vous, qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce que vous avez fait depuis cinquante ans ? Vous avez pris not argent pis vous l’avez donné. Pourquoi ? Pour rien. Vous nous avez tout arraché pour le donner, pour payer la terre et la terre est pas payée. A s’ra jamais payée. Je l’sais, moé. On aura travaillé toute not vie pour rien, pour rien. On vous l’ôtera vot terre et vous finirez dans l’chemin du roi. Vous pourrez prendre ane poche et aller de porte en porte. Pis, vous finirez par crever dans l’chemin.

Plus meurtrières que des coups de couteau, les paroles