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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Ça lui ferait pas de tort, que reconnaît Jérémie.

— Pis faudrait pas que tu oublies de le faire boire à sa soif, hein ?

— Entendu, m’sieu Verrouche.

Pis, le pére prend ane piasse et la glisse à Jérémie. Deux bons amis. Jérémie prend la piasse, la tortille et la met dans sa blague à tabac. Ensuite, le pére entre à l’hôtel. Mon américain était là en train de jaser avec quatre ou cinq habitants auxquels il payait la traite. Il voulait les mettre de bonne humeur pour leur acheter leurs chevaux à bon marché. Il connaissait son métier. Naturellement, il invite le pére Verrouche. Lui, il refusait pas ça un coup.

Pis le yankee lui demande s’il a des chevaux à vendre.

— Ah batêche ! j’en ai un, répond le pére, mais j’le garde. J’le donnerais pas pour deux cents piasses. Il a gagné les 2.30 l’automne passé. C’est pas un cheval à vendre. Dans un an, il peut me rapporter plus que son prix. Faudrait de la ben grosse argent pour le laisser partir.

Alors v’là mon américain qui paie ane autre traite, pis ane autre. Il voulait amollir le pére, acheter son cheval. Mais m’sieu Verrouche il chantait toujours les qualités de Mohican. Il jouait son jeu. On l’aurait cru pas mal chaud, mais il avait seulement quatre verres de gin. C’était pas assez pour lui faire perdre la tête.

— J’sus pas riche qu’il disait, mais je gagerais ben vingt-cinq piasses avec n’importe qui sur le p’tit Mohican.

Le yankee le ragardait d’un air amusé.

— Faut jamais trop se vanter, le pére, qu’il dit. Je ne dis pas que votre cheval est pas bon, mais il peut y en avoir de meilleur.