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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

— Ben, maudit ! J’voudrais voir celui qui battra Mohican. Pis, j’lui donnerais vingt-cinq piasses.

Et il sort de sa poche cinq billets de cinq qu’il brandissait dans ses vieux doigts, en faisant toutes sortes de grimaces pour paraître ben saoul. Alors, l’américain le taquine.

— Vous savez, moé aussi, j’ai un bon cheval, mais j’voudrais pas vous voler vot argent.

— Vous avez un cheval ? fait le pére d’un air étonné. Ous qu’il est vot cheval ?

— Ici, à l’écurie.

— Ben, j’ai dit que j’trotterais pour vingt-cinq piasses et je r’viens jamais sur ma parole, déclare le pére.

— Ça me ferait de la peine de prendre vot argent, parce que je crois que vous en avez besoin, riposte le yankee.

Vous comprenez, ils étaient comme deux pêcheurs à la ligne qui agitent leur hameçon dans l’eau, pour amorcer le poisson.

— Ben certain que j’en ai besoin, riposte le pére, mais gagne ou perd, j’en ai toujours pour mon argent dans ane course.

— Dans ce cas-là, comme je vais gagner vos vingt-cinq piasses, je vais payer la traite, annonce l’américain.

Pis, après avoir bu et s’être essuyé la bouche avec son mouchoir de soie, il regarde sa montre.

— Dix heures, fait-il. Écoutez, on va trotter ça avant dîner. Seriez-vous prêt à onze heures ?

— À onze heures on partira d’ici pour se rendre aux Coteaux, un mille et quart pour vingt-cinq piasses.

— Entendu, dit l’américain.