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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

folle que l’on avait vue passer avant le souper avec son chien attelé à une charrette, de sa voisine, de l’homme qui lui avait vendu la maison. Inlassablement, elle jacassait. Soudain, dans le calme et dans le noir, l’on entendit des pas. Ils résonnaient sur le trottoir en bois. Un homme et un jeune garçon passèrent devant la demeure de Louise.

Alors, dans un émoi de tout son ventre, de tout son être, du ton dont elle aurait dit : C’est le Saint Sacrement qui passe, elle prononça : C’est lui, c’est Prosper Deschamps.

L’homme alla frapper à une maison en face. On ne répondit pas. Il frappa de nouveau, sans résultat. Les gens étaient sortis.

— C’est Baptiste Lauzon, un journalier qui demeure là. Prosper voulait probablement lui demander d’aller travailler chez lui, dit-elle. Et puis, tu comprends, il sait déjà que j’ai de la visite, que tu es ici et il veut se rendre compte par lui-même, ajouta-t-elle.

L’homme et le garçonnet repassèrent devant la demeure de Louise. S’adressant à son jeune compagnon, Prosper Deschamps disait : « Si tu étais obligé de travailler, toué, combien que tu demanderais par jour, trente piasses ? » La voix était commune, vulgaire. Celle d’un niais, d’un bêta, d’un simple d’esprit. Et c’était ce jocrisse qui la faisait vibrer, ce lourdaud qu’elle aurait pu épouser. Non, il n’était pas jaloux. Il aurait été jaloux d’un rival qui serait quelqu’un, mais de cet être falot, à la voix d’ignorant, de benêt, ah non ! Il n’avait ni jalousie ni colère, seulement du dégoût, un immense, un indicible dégoût.

Il a un beau chandail, des bas et des culottes golf bien