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VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

grogné de satisfaction en enfonçant leur groin immonde dans cette chair toujours ouverte à leurs appétits.

La mort seule pouvait le délivrer, le détacher d’elle.

Il se méprisait, il se dégoûtait lui-même, mais cette femme le tenait enchaîné à elle. S’évader, briser ses liens et en finir avec l’existence, cela, il y songeait depuis la veille au soir, depuis leur promenade, et il en avait pris l’inébranlable résolution alors qu’elle lui avait raconté son idylle avec Prosper Deschamps. Certes, il n’avait pas éprouvé de jalousie, seulement de l’humiliation, une immense humiliation.

N’en avait-il pas assez d’être ridiculisé, bafoué, torturé ?

Que pouvait-il espérer ? Autrefois, alors qu’il était follement épris d’elle, aux jours du grand amour, il s’imaginait le pauvre naïf, le pauvre fou, qu’elle s’amenderait, s’assagirait, serait enfin seulement à lui. Mais encore aujourd’hui, même vieillie et usée, elle continuait à se donner à tous. Ah ! quelle misère ! Mourir. Il n’y avait qu’à mourir. Il n’avait pensé qu’à cela toute cette journée.

Le train arrêtait aux gares le long de la route et de nouveaux voyageurs à faces d’abrutis montaient et s’affalaient sur les banquettes.

Le serrefrein traversait le wagon.

— Sainte-Marguerite ! lança-t-il de sa voix indifférente et fatiguée.

Brusquement, Robert Deval avait trouvé ce qu’il cherchait, la façon d’en finir avec la vie et avec sa lamentable aventure. Au lieu de continuer vers la ville, lorsque le train stoppa il débarqua et se fit conduire à une pension sur le bord du lac. Immédiatement, il monta dans sa chambre où il s’enferma, ne descendant même pas pour le sou-