Aller au contenu

Page:Laberge - Visages de la vie et de la mort, 1936.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
74
VISAGES DE LA VIE ET DE LA MORT

bête prise au piège qui cherche à sortir, à s’évader. Puis, elle voletait éperdument et se heurtait aux parois, rencontrant toujours une barrière infranchissable. Elle faisait l’impossible pour s’échapper et ne pouvant trouver d’issue, sa trompe, comme une vrille, creusait, perçait une ouverture dans le sommet de la tête, pour s’enfuir. Alors lui-même joignait intérieurement ses efforts à ceux de l’insecte afin de s’en débarrasser, de le voir s’envoler et disparaître à jamais. Dans cette agonie terrible, les heures s’écoulaient lentes comme des siècles. Il souhaitait désespérément voir apparaître le jour, mais les ténèbres paraissaient devoir régner à tout jamais. Peut-être était-il arrivé quelque cataclysme et le soleil ne se lèverait plus. L’obsession lancinante le tenaillait. Il s’imaginait être étendu dans un cercueil de bois brun aux poignées nickelées. Une forte odeur de cire fondue lui venait aux narines. La figure douloureuse et fatiguée, une femme était là écrasée sur une chaise, les mains croisées sur les genoux. Sa mère. Elle l’avait veillé toute la nuit et bientôt, des hommes l’emporteraient et le descendraient dans la terre, pour être, lui, la proie des vers.

Par la fenêtre entrebâillée s’introduisait soudain en bourdonnant, une grosse mouche verte, luisante, bizarre, qui s’abattait sur son front. Il entendait la voix de sa mère disant :

Oh, la misérable mouche !

Mais la voix était changée ; elle résonnait avec un éclat de trompette et la mouche s’évanouissait.

Une fatalité pesait sur lui, le courbaturait, l’écrasait. Au fond de son être, à côté de ses facultés, se trouvait cette chose obscure, ce long, long bourdonnement dont l’idée seule le jetait dans des transes atroces et qui ne