Page:Labiche - Théâtre complet, Calman-Lévy, 1898, volume 07.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas devant moi, une voix dans le brouillard, qui écorchait le même morceau. J’avais beau ralentir le pas, ou marcher plus vite, je ne pouvais pas me dépêtrer de ce maudit chanteur ! Dame ! moi, ça commençait à m’échauffer les oreilles… Il était évident que le particulier y mettait de la méchanceté… Il s’était dit : « voilà un bourgeois qui sort de Feydeau… Elleviou est son idole, bon ! je vais le taquiner… »

Olympe.

Oh ! pouvez-vous croire…

Cravachon.

Laisse faire, on connaît son monde… Alors, moi, je lui crie : « Holà ! hé ! monsieur ! monsieur ! chantez autre chose, vous m’ennuyez… » Il me répond par un grand éclat de rire !… puis il entame avec son infernal fausset… quoi ? le morceau de Martin… Martin, tu sais ? c’est mon idole !… Mille tonnerres ! je n’y tenais plus !… « Ah ! pour le coup, mon oiseau, lui criai-je en le rejoignant, nous allons changer de musique !… » Un duel ! ça me va, j’ai froid aux doigts, qu’il me répond sans ostentation… Voilà un armurier, je vais chercher des outils… Et il part en chantant :

Malbrough s’en va-t-en guerre,
Mironton, ton, ton…

Et faux ! toujours faux ! le gueux !

Olympe.

Il ne pouvait peut-être pas chanter autrement.

Cravachon.

Ça ne me regarde pas… J’arrête deux fiacres, chacun le nôtre, il revient avec des épées, nous nous embarquons, et bientôt nous voilà hors Paris, dans la campagne, au milieu d’une belle route, ma foi ! mais il faisait noir… noir !… Mon inconnu fait en un clin d’œil ranger les sa-