Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/18

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Aussi, ne faut-il pas s’étonner que dès cette époque on ait défendu le droit de propriété littéraire. L’avocat général Séguier inclinait de ce côté, comme on en peut juger par une note de son réquisitoire[1].

Rendre une chose publique, disait-il, c’est donner au public le droit d’en faire usage ; or, quel est l’usage d’un livre ? C’est assurément d’instruire, et non de donner à un libraire ou à un imprimeur la faculté de s’enrichir en multipliant les copies de l’ouvrage aux dépens de l’auteur ou de son cessionnaire. S’il existe un moyen de tirer profit d’un ouvrage, à qui de l’auteur ou d’un étranger le profit doit-il passer ? Il n’est personne qui puisse hésiter de se déclarer pour l’auteur ; dès lors le droit de l’auteur est constant. Si l’auteur a droit, on ne peut le lui enlever sans injustice ; par conséquent la publicité de l’ouvrage ne donne au public que la facilité de s’instruire, et non celle de s’enrichir aux dépens de l’auteur.

Mais l’avocat le plus zélé et le plus habile de la propriété littéraire fut l’abbé Pluquet, qui publia, vers 1778, trois mémoires anonymes sous le titre : Lettres à un ami sur les affaires actuelles de le librairie ; il y soutint, par d’excellentes raisons, que la propriété littéraire était une véritable propriété. À l’abbé Pluquet, il faut joindre un autre anonyme qui, en 1778, publia une Lettre à M. D***[2], où se trouvent les passages suivants qui sont remarquables :

Comme la nature ne fait naître aucun homme avec un droit exclusif à tel ou tel fruit, elle n’en fait naitre aucun avec un droit exclusif à telle ou telle portion de terre ; la terre est en commun avec les fruits qu’elle porte.

Mais si un observateur, découvrant au milieu des ronces, des épines et des halliers, différentes espèces de légumes propres à la nourriture de l’homme, qui seraient étouffés, ou qui ne pourraient croître, ou que l’on ne pourrait cueillir, si, dis-je, cet observateur arrachait ces ronces,

  1. Procès-verbal, etc., p. 68.
  2. Cette lettre est datée du 19 décembre 1778.