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Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/31

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Cela est-il utile ? Il suffirait de répondre que cela est juste, car la première utilité pour une société, c’est la justice. Mais ceux qui demandent s’il est utile de rémunérer dans l’avenir le travail de l’intelligence ne sont donc jamais remontés par la pensée jusqu’à sa nature et jusqu’aux résultats de ce travail ? Jusqu’à sa nature ? Ils auraient vu que c’est le travail qui agit sans capitaux, qui en crée sans en dépenser, qui produit sans autre assistance que celle du génie et de la volonté. Jusqu’à ses résultats ? Ils auraient vu que c’est l’espèce de travail qui influe le plus sur les destinées du genre humain. Car c’est celui qui agit sur la pensée même de l’humanité et qui la gouverne… L’œuvre qui crée, qui détruit, qui transforme le monde, serait-elle une œuvre indifférente au monde ?

Enfin, cela est-il possible ? Cette richesse éventuelle et fugitive qui résulte de la propagation matérialisée de l’idée par l’impression et par le livre, est-elle de nature à être saisie, fixée et réglementée par forma de propriété ? À cette question, le fait avait répondu pour nous. Cette propriété existe, se vend, s’achète, se défend comme toutes les autres…[1]. »

Nous voici bien en avant de Chapelier et de Lakanal. La propriété littéraire n’est pas seulement la plus sacrée et la plus personnelle de toutes, c’est une propriété qui ne diffère pas des autres ; on s’attend donc à ce que le rapporteur conclue à la perpétuité du droit, mais là M. de Lamartine s’arrête comme ses devanciers, et pourquoi ? C’est dit-il, que :

Nous étions une Commission de législateurs et non une Académie de philosophes. Comme philosophes, remontant à la métaphysique de cette question, et retrouvant sans doute dans la nature et dans les droits naturels du travail intellectuel des titres aussi évidents, aussi saints et aussi imprescriptibles que ceux du travail des mains, nous aurions été amenés peut-être à proclamer théoriquement la perpétuité de possession des fruits de ce travail ; comme législateurs, notre mission était autre. Nous n’avons pas voulu la dépasser. Le législateur proclame rarement des principes absolus, surtout quand ce sont des

  1. Rapport, p. 4-7.