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les écrivains, tous il est vrai plus ou moins intéressés dans la question, se prononcent dans le même sens. M. Breuller, M. Commettant et bien d’autres arrivent aux conclusions de M. Alphonse Karr, qui résume la loi à venir en cette simple déclaration : La propriété littéraire est une propriété.


§II.

Du caractère juridique de la propriété littéraire.


Propriété ou privilège, voici donc le point délicat qu’il faut étudier. Quoique la loi ait évité de se prononcer, ce n’est pas là une querelle de mot et une discussion insignifiante, car, suivant le principe qu’adopte le magistrat, les effets de la loi sont tout différents. Si le droit des auteurs est une propriété, on ne peut trop l’étendre ; si c’est un privilège, il est sage de le restreindre. Dans le premier cas, la contrefaçon est un vol ; dans le second, elle est presque excusable ; elle représente la liberté.

Involontairement je pense à l’histoire que j’ai lue autrefois dans les Mémoires de Marmontel. L’auteur des Contes moraux passait à Liège, quelque temps après la publication du fameux Bélisaire ; il y fut visité par le libraire Basssompierre, qui venait lui témoigner toute son admiration et toute sa reconnaissance. Grâce au talent et au succès de Marmontel, Bassompierre le contrefacteur était sur le chemin de la fortune, et ne pouvait assez remercier celui qui l’enrichissait involontairement. — « Quoi, s’écria Marmontel, vous me dérobez le fruit de mes veilles, et vous avez l’effronterie de vous en vanter devant moi ? »

« Monsieur, répondit le libraire, fort étonné, Liège est un pays de franchise, et ici nous n’avons que faire de vos privilèges. »