Page:Laboulaye - Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre.djvu/34

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L’honnête Bassompierre n’avait pas tort ; c’est ainsi qu’on a longtemps raisonné en Belgique, c’est ainsi qu’on raisonne encore dans quelques États d’Allemagne, qui souffrent la contrefaçon. Parlez-vous de propriété, chacun s’incline ; parlez-vous de privilége, chacun se révolte. Le premier titre représente ce qu’il y a de plus respectable : le droit ; le second, ce qu’il y a de plus odieux : le monopole. Ce n’est donc pas une querelle de mots.

Dira-t-on que M. Villemain, M. Renouard, et d’autres jurisconsultes excellents, ont pris un moyen terme, qui semble plus raisonnable, en faisant de la propriété littéraire un droit particulier, un droit sui generis[1] ? Ce changement de nom recule la question mais ne la résout pas. Reste toujours à savoir quelle est la nature de ce droit. Vient-il d’une concession bénévole de la société, c’est toujours un privilége ; le droit n’existe que par la grâce du législateur, et n’a d’étendue que celle que la loi lui donne ; mais au contraire, s’il n’est que le travail reconnu et garanti par la loi, si ce travail enfante des fruits matériels, si on peut vendre, donner, léguer ces produits comme ceux de la terre et de l’industrie, nous voilà si près de la propriété, qu’à moins de raisons majeures, je ne vois aucun intérêt à changer un mot bien fait, qui se grave aisément dans l’esprit, et qui emporte avec lui une idée de respect.

Parmi les défenseurs de la propriété littéraire, le plus éloquent, celui qui a pris la chose de plus haut, c’est M. Noon Talfourd. Avocat distingué, poëte de talent, membre de la Chambre des communes, M. Talfourd, à la fois jurisconsulte, écrivain et homme d’État, réunissait toutes

  1. Bluntschli, Deutsches Prlvatrecht, § 46, en fait un droit personnel, le droit de l’inventeur ; M. Wachter, Verlagsrecht, § 9, Stuttgart, 1857, en fait un Vermogensrecht.