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enfants, de dix années aux autres héritiers ; il semble que ce soit un octroi bénévole. Ce qui est propriété pour l’auteur n’est plus qu’un privilége temporaire pour ses successeurs. Cependant, il implique qu’un droit de propriété change de caractère ; on ne peut voir dans cette contrariété que le combat des deux principes que nous avons signalés. Il est évident que dès qu’on reconnait la propriété, ou doit aller à la perpétuité.

Par quelles raisons refuse-t-on de reconnaitre le titre des héritiers ? Ce n’est pas en invoquant le droit. Si un livre peut être une propriété pendant un demi-siècle, pourquoi ne le serait-il pas toujours ? On a donc recours à des raisons d’utilité publique. C’est au nom de l’intérêt général qu’on s’oppose à la perpétuité du droit.

C’est un argument pour lequel je me sens une horreur invincible. Le droit, tout le monde l’entend de même : l’intérêt public, chacun l’entend à sa façon, suivant ses préjugés ou son intérêt particulier.

« Je ne me défends pas, disait M. de Lally-Tollendal à la Commission de 1826, je ne me défends pas de quelque prévention sur les abus qu’on a faits si souvent de l’opposition entre les droits des individus et ceux du domaine public. J’ai vu tant d’individus dépouillés de leurs propriétés territoriales et mobilières, à qui l’on disait : C’est pour la nation (et l’on sait comment elle en a profité), que je répugne à dire aux auteurs en les dépouillant, eux et leurs familles, de leurs propriétés littéraires : C’est pour le public[1]. »

Est-il vrai que l’intérêt publie exige qu’un auteur ne laisse à ses enfants qu’une jouissance limitée ? Est-il juste d’affai-

  1. Commission de la propriété littéraire, etc. p. 117.