Page:Laboulaye - Histoire politique des États-Unis, tome 3.djvu/252

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milton avait fait pour elle, mais qu’elle ne savait pas ce qu’il pouvait faire encore pour la servir. La pensée est noble et belle ; mais quel que fût le génie et le patriotisme d’Hamilton, son temps était passé. Il arrive toujours aux hommes qui remettent l’ordre non-seulement dans les finances, mais dans la société, que s’ils ne se dépêchent pas de mourir, la nouvelle génération oublie ce qu’ils ont fait et ne voit que les défauts de l’édifice. C’est l’histoire d’Hamilton. Le peuple américain, qui jouissait de la liberté, oubliait ceux à qui il la devait ; le parti démocratique, qui avait à sa tête des hommes jeunes, ardents, dédaignait Hamilton comme un fédéraliste, c’est-à-dire un adversaire de l’indépendance provinciale et presque un ennemi du pays.

Mais si l’histoire peut dire que l’Amérique a été plus généreuse pour des favoris qu’elle ne l’a été pour Hamilton, faut-il le plaindre ? Sa vie, après tout, n’est-elle pas une des plus belles qu’on puisse concevoir ? Quant à moi, je plains beaucoup les hommes qui vivent dans un pays où il n’y a pas de liberté. Un homme de talent, un patriote qui naît aujourd’hui en Pologne ou à Venise, voilà celui qui me semble malheureux. Comprendre la liberté, l’aimer et ne pouvoir la servir, voilà ce que j’appelle être victime du sort. Mais lutter dans un pays libre, combattre des adversaires, injustes et violents peut-être, mais les combattre en pleine lumière, avec le pays et l’avenir pour juges ; être victorieux aujourd’hui, vaincu demain : ceci c’est la vie, il ne faut pas s’en plaindre, et je crois qu’Hamilton pouvait se trouver heureux. Il avait eu la vie la plus intense, la plus active