Aller au contenu

Page:Laboulaye - Locke, législateur de la Caroline.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

musaient point à refaire l’utopie d’un Thomas Morus ; ils prenaient, en le perfectionnant, le gouvernement même qu’ils avaient sous les yeux, l’empire dont tous deux dirigeaient la politique.

Ne nous effrayons point de cette érudition puérile qui entasse pêle-mêle les palatins, les starostes, les landgraves, les caciques, les seigneurs de manoir ; allons au fond des choses, qu’y voyons-nous ? Une royauté de huit personnes, la noblesse, la gentry, les paysans, quatre classes qui existaient distinctement en Angleterre, et qu’on retrouve encore aujourd’hui. Locke n’avait rien inventé, il avait observé, analysé, compris. Comme étude politique, son œuvre est parfaite, c’est l’Angleterre prise sur le vif. Comme conception théorique, elle est irréprochable ; tout s’y tient, tout est calculé pour le but qu’il se propose ; c’est l’organisation aristocratique la plus forte, la plus serrée qu’on puisse imaginer.

Ainsi donc, Locke et Shaftesbury avaient mis en œuvre, pour leur Constitution, tout ce que peuvent donner d’ingénieuses combinaisons, la prudence humaine, un esprit supérieur, l’habitude des affaires ; et cependant on sent bien que ce projet n’est qu’un jeu d’imagination sans vie, sans réalité, qui ne devait pas, qui ne pouvait pas réussir. C’est que cette législation, empruntée d’une société aristocratique et féodale, ne pouvait pas convenir à une société où les personnes et les terres étaient dans des conditions bien autres qu’en Angleterre ; c’est qu’en Amérique, l’égalité absolue, l’égalité des hommes et des choses sortait pour ainsi dire du sol.

Il y a là un principe, une règle fondamentale de la science politique, que Locke a complètement méconnue, et qui, dès le premier jour, a rendu son œuvre inutile et dangereuse ;